La graine et le mulet ***
Abdellatif Kechiche
sorti en décembre 2007
L’histoire
A Sète, Monsieur Beiji, la soixantaine fatiguée, travaille sur le chantier naval du port dans un emploi devenu pénible au fil des années. Père de famille divorcé, s'attachant à rester proche des siens, il traîne une impression d'échec qui lui pèse depuis quelque temps, et dont il ne songe qu'à sortir en créant sa propre affaire : un restaurant.
avec
 
Habib Boufares
Hafsia Herzi
Faidah Benkhetache
Abdelhamid Aktouche
Bouraouia Marzouk
Merci, Monsieur Kechiche. Merci de faire ressentir à ce point les attaches familiales. Jamais un déjeuner dominical n’avait été filmé d’aussi prêt, avec autant de vérité, avec tout ce que cela signifie : longueur et instants de grâce microscopiques, chaleur humaine et âpreté, complicité et secrets gardés.
Le couscous de poisson dévoré par cette famille est réel, il laisse de la graine sur les bouches grasses, on perçoit tout, y compris "le bruit et l’odeur", et c’est formidable, cela ressemble à une vidéo familiale tournée avec une caméra numérique, sauf qu’il y a une maîtrise parfaite du montage, des cadrages, du rythme, de la longueur des plans. Et le tout est d’une clarté exemplaire : en quelques secondes, le réalisateur définit chaque personnage, le reliant aux autres : jamais on ne se perd dans la cohue…
A la moitié de la projection, on pourrait craindre que ce ne soit que cela : une gravure pour l’éternel d’instants émouvants (ce n’est déjà pas si mal), et puis le film prend une tournure inattendue, quelque chose qui a à voir avec la tragédie, avec le pathétique au sens noble, et on bascule vers un cinéma qui ressemble à deux films roumains récents et admirables : 4 mois 3 semaines 2 jours, et la mort de Dante Lazarescu : une captation quasi-documentaire d’une histoire profondément humaine, dramatique, émouvante jusqu’aux larmes, mais sans jamais tomber dans le misérabilisme.
Merci Monsieur Kechiche de nous présenter ces personnages aux prises avec la vie, incarnés par des acteurs qu’on dit non professionnels : ils sont tellement présents, sans clichés, qu’on se demande depuis quand le cinéma français ne nous avait montré autant d’humanité. La jeune Hafsia Herzi est absolument, totalement stupéfiante, mais Bouraouia Marzouk qui joue la mère, celle qui régale son monde, a aussi une présence phénoménale. On imagine que tous ces comédiens ressemblent plus ou moins à leurs personnages, mais il faut se souvenir du travail hallucinant de direction d’acteur qui avait amené à faire passer Sara Forestier pour une fille de banlieue dans "l’esquive".
Merci Monsieur Kechiche d’avoir de l’ambition, de prendre le risque de la longueur et de la densité, de montrer une partie de la population qu’on ne voit jamais sur grand écran, et d’en faire de véritables héros de cinéma.
Merci Monsieur Kechiche pour ce chef d’œuvre.
 
Une émotion énorme
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Un film qui marque effectivement. Qui marque dans la salle, et après, longtemps après. 
Comme Al1, je trouve formidable cette façon de filmer, de dilater les séquences d'une manière incroyable, presque dérangeante, impudique. Pour exemple, la scène d'une femme trompée, douloureuse, qui hurle son désarroi. Je ne sais pas, mais cette scène doit durer 10, 15 minutes peut-être. On est là, dans la chambre. Les propos sont mécaniques, très vite ils deviennent répétitifs. Seule reste la douleur. On écoute au début, on comprend, on compatit et puis on est là, impuissant face à cette douleur, ça devient insupportable ... ça ne s'arrête pas, pas de fuite possible,.. c'est d'une force !
Et puis il y a toute la magie de la découverte des personnages, de leurs failles, de leur profondeur, de leur inconsistance parfois. Et puis aussi un regard tendre et fort sur la langue arabe, sur la fascination de la musique et de la danse, .. magnifique et envoûtant.
En revanche, et contrairement à Al1, j'ai été gêné par le scénario qui se construit sur un contexte social très réaliste, très dur et qui, progressivement devient un peu artificiel et un peu "attendu". C'est juste, pour moi, un peu dommage.
En même temps, et après en avoir parlé à un ami en sortant de la salle, ce côté artificiel attribue aussi au film une forme de poésie. Le parallèle entre la danse et la course notamment (pour ceux qui ont vu le film !) est emblématique de cette poésie.

Thierry D.  7 janvier 2008



J’ai été subjuguée par la petite, l’actrice révélation du film, sa gouaille extraordinaire, son regard de braise, ce mélange d’ado et de femme. Elle irradie l’écran tout comme l’ensemble des femmes de cette famille. L’acteur principal est quasiment muet car il n’a sans doute pas les mots pour dire. Mais son agitation intérieure est perceptible. La fin est tragique. Les jeunes hommes de la famille ne sont que des garçons inconséquents. Très beau film effectivement qui continue longtemps après la séance à vous habiter. 

Monique L.   1er janvier 2008




Pas vu « La graine et le mulet »… Je l’ai conseillé à ma mère, motivée par le lieu du tournage qui a été assez déçue par le retour d’images de Sète (les vues se limitent au port principalement) mais elle a été subjuguée par la beauté du film et de l’histoire.

Elodie N. 28 janvier 2008