Merci, Monsieur Kechiche. Merci de faire ressentir à ce point les attaches familiales. Jamais un déjeuner dominical n’avait été filmé d’aussi prêt, avec autant de vérité, avec tout ce que cela signifie : longueur et instants de grâce microscopiques, chaleur humaine et âpreté, complicité et secrets gardés.
Le couscous de poisson dévoré par cette famille est réel, il laisse de la graine sur les bouches grasses, on perçoit tout, y compris "le bruit et l’odeur", et c’est formidable, cela ressemble à une vidéo familiale tournée avec une caméra numérique, sauf qu’il y a une maîtrise parfaite du montage, des cadrages, du rythme, de la longueur des plans. Et le tout est d’une clarté exemplaire : en quelques secondes, le réalisateur définit chaque personnage, le reliant aux autres : jamais on ne se perd dans la cohue…
Merci Monsieur Kechiche de nous présenter ces personnages aux prises avec la vie, incarnés par des acteurs qu’on dit non professionnels : ils sont tellement présents, sans clichés, qu’on se demande depuis quand le cinéma français ne nous avait montré autant d’humanité. La jeune Hafsia Herzi est absolument, totalement stupéfiante, mais Bouraouia Marzouk qui joue la mère, celle qui régale son monde, a aussi une présence phénoménale. On imagine que tous ces comédiens ressemblent plus ou moins à leurs personnages, mais il faut se souvenir du travail hallucinant de direction d’acteur qui avait amené à faire passer Sara Forestier pour une fille de banlieue dans "l’esquive".
Merci Monsieur Kechiche d’avoir de l’ambition, de prendre le risque de la longueur et de la densité, de montrer une partie de la population qu’on ne voit jamais sur grand écran, et d’en faire de véritables héros de cinéma.
Merci Monsieur Kechiche pour ce chef d’œuvre.