Le steak, la météo marine et l'horloge du four
Janvier 2006
Dans le film "Je ne suis pas là pour être aimé", on voit le personnage joué par Patrick Chesnais faire cuire un steak. Il est chez lui, debout face à la plaque de cuisson. Ses gestes sont précis, rien de superflu, mais tout dans son attitude respire l'ennui. Ce steak, il s'en moque totalement. Ce n'est en aucun cas du plaisir. C'est juste de la nourriture. Il ne fait rien, ou presque, et pourtant n'importe quel spectateur aura compris que cet homme s'emmerde considérablement dans sa vie.

En fond sonore, il y a la radio. Pas n'importe quoi à la radio : France Inter, la météo marine. Ce qu'on entend après les infos de vingt heures, sans jamais l'écouter. Ça meuble l'espace, ça empêche le silence de tomber lourdement.

Et puis, il y a ce four, micro-ondes ou pas, on s'en moque. Mais c'est l'horloge du four qui interpelle. La scène dure suffisamment longtemps pour qu'on s'en rende compte. Et même si on ne l'a pas vue, je suis sûr que cette horloge participe inconsciemment à la compréhension du personnage. L'horloge indique quelque chose comme 13 heures 25 ou à peu près. Pas du tout l'heure de la météo marine. Deux solutions, soit le personnage a enregistré la météo marine et il se la passe en fond sonore : je n'y crois pas, même si cela peut être séduisant... Ou bien tout simplement l'horloge est mal réglée, ou n'a jamais été mise à l'heure. Avec trois détails, le steak, la météo marine et l'horloge du four, le réalisateur définit un personnage de façon géniale, par petites touches, sans démonstration, sans lourdeur.

Mais ça, c'est avant que Patrick Chesnais ne rencontre Anne Consigny. Après, on imagine que dans la poêle, il y aura une tranche de foie gras, la radio sera branchée sur un tango sublime, et l'horloge du four... Non, l'horloge du four ne sera toujours pas réglée, avant il s'en foutait, maintenant il est à mille lieues au dessus de ce genre de détail.
Plus j'y pense, plus j'adore ce film.C70F4A42-40CA-11DB-9E11-000A95DD545A.htmlshapeimage_2_link_0
Vos commentaires

je viens de lire la chronique sur "Le steak, la météo marine et l'horloge du four" depuis je n'ai qu'une envie,  celle de voir ce film ! Cette scène qui parle du personnage n'est à priori pas facile à résumer et pourtant j'imagine très bien grâce aux  détails de l'environnement et à l'enroulement des phrases le contexte qui caractérise ce célibataire à la vie insipide.
J'espère aimer également   ;-)             Pierre L.   16  janvier 2006


Certes je souhaitais voir "la météo marine et l'horloge du four", mais la dernière chronique d'AL1 (visualisée le 25/01/2006) sur « Munich » puis  de "Je vous trouve très beau" complétée par la critique de Dominique P , m'a fait basculer.  Pas du côté obscur, ni pour "Munich" que je visionnerai à sa sortie en DVD. J'ai donc choisi un film dans le même registre que "la météo marine et l'horloge du four", sans cascade, sans superflu, mais plus convenu. Peut-être que j'apprécie plus Michel Blanc que Patrick Chesnais, j'ai donc vu "Je vous trouve très beau”. 
Pierre L.   30 janvier 2006


C'est vraiment bien d'avoir de tes nouvelles toutes les semaines car, si même s'il s'agit de cinéma, c'est aussi de toi que tu parles. La meilleure preuve, s'il en fallait une, c'est ton billet sur "Le steak, la météo marine et le four" (les ai-je mis dans l'ordre?), qui m'a émue aux larmes (bon, d'accord, je suis un peu émotive en ce moment). Les drames de l'existence se jouent dans les détails…, mais c'est peut-être pour cette raison qu'on peut, finalement, en rire, enfin en sourire. Merci pour ton regard aigu et tendre à la fois qui fait apprécier ce que le cinéma peut faire voir et dire en propre.
Isabelle C.    2 février 2006