Tout est illuminé
Liev Schreiber
sorti en décembre 2005
La mémoire est un grand sujet de cinéma. Ce qu'on en fait, ce qu'il en reste, comment elle nous aide à vivre, comment chacun compose avec sa propre mémoire et celle des autres. Ici le passé exploré est celui du grand-père du personnage principal, lequel va essayer de comprendre ce qu'il s'est produit dans la jeunesse de son ancêtre. Le sujet pourrait être grave, il l'est, car le grand-père était juif et l'on comprend vite qu'il a échappé de peu à la haine antisémite pendant la guerre. Le traitement est poétique, léger, pas un plan qui ne soit étudié, pas une seule image quelconque, tout est fait pour être beau : le montage, la musique, les couleurs... Tout cet aspect un peu décoratif finit par prendre le pas sur l'émotion. On est devant un très joli film, trop joli. Effectivement, tout est illuminé : on aimerait qu'il reste des zones d'ombre, la douleur ne transparaît pas, tout cela reste beaucoup trop supportable !
Bien sûr, le réalisateur n'a pas voulu faire un film sombre sur la Shoah. Il semble qu'il ait juste voulu montrer que la reconnaissance du passé de chacun, si douloureux soit-il, aide à supporter le présent, à mieux accepter les différences, à vivre avec les autres. Cette vision me paraît un peu trop simple, trop naïve.
avec
 
Elijah Wood
Eugene Hutz
Boris Leskin
Vos commentaires :
"Tout est illuminé", et en premier lieu le spectateur,  devant l'interpellation à la fois simple et profonde sur notre condition humaine que ce film nous renvoie. Tous les ingrédients du chef d'oeuvre sont là : des acteurs qui nous font oublier qu'ils le sont, une qualité d'images et de plans que Jeunet ou le grand Alfred ne renierait pas, une liberté totale laissée à chacun d'entre nous pour comprendre, interpréter et réfléchir à son propre destin. Ajoutez à cela une bande son d'un exotisme réjouissant qui vivifie nos coeurs pour mieux encaisser la gravité du propos. Après cela, raconter l'histoire n'a finalement que peu d'importance, sauf que les ingrédients et les lieux sont une vraie bouffée d'oxygène pour les lassés du conformisme cinématographique ambiant. Courez-y vite avant qu'il ne soit trop tard bien qu'il m'étonnerait beaucoup que le bouche à l'oreille ne l'entraîne pas rapidement vers les sommets. Ceci dit vu l'ambiance actuelle, on n'est jamais trop prudent.
 
Quand à Al1, cours-y vite ! Il ne te reste plus que 11 jours pour "déplacer vers la droite" la liste de tes films de l'année et reléguer au second rang l'oeuvre néanmoins formidable de ton ami Clint. Je les ai découverts tous les deux dans l'ordre inverse de leur sortie et il y a des fois où, comme sur le ring, on ne peut pas lutter.    
Philippe C.  19 décembre 2005  15 h 37
 
 
 
 
Putain, il m'a grillé le Filios (Philippe C) ! C'est quand même désolant. Un film vu (déjà c'est bien) avant Al1 (c'est dingue), trois jours après sa sortie, sûrement 10 jours avant sa disparition définitive, ... et même pas l'exclusivité de la critique chez Ciné d'Al1, ...
En plus, si je raconte l'histoire, je vais passer pour un con. Je peux quand même vous dire que c'est le grand barbu tatoué qui tue l'inspecteur à la fin, et ça on s'y attend pas du tout !
Bon, ... n'importe quoi !
"Tout est illuminé", c'est vraiment un beau film. Sur le passé qui "illumine" (forcément) le présent ... des gens, des familles et des peuples. Un jeune américain qui "collectionne" des fragments de  vie et qui suit les traces de son grand père en Ukraine. Il y est guidé par deux ukrainiens eux même un peu en mal avec leur propre histoire, pour des raisons différentes.
Des rencontres improbables mais terriblement poétiques (un air "d'Amélie poulain en Ukraine". Léger. Et aussi l'esprit de "Good bye Lénin"). Une quête qui en révèle d'autres. Des "illuminations" à la fois individuelles et collectives, légères et graves.
Ca fait deux jours et j'y pense encore, avec plaisir et émotion.
Pareil pour la Vichyssoise (une petite soupe de poireaux avec du lard et un oeuf mollet) et le petit Touraine engloutis après mais je m'égare !
Thierry D.  19 décembre 2005   22 h 12
 
 
 
 
j'ai fait du lobby sur les forum cinéma de wanadoo, studio, allo ciné et nord cinéma ... tous les avis des internautes sont du même tonneau et pourtant il n'y a bien que ...10 copies sur toute la France ! (dont 2 à paris). Quand tu penses que la bouse de Cactus (qui semble être un bon navet franchouillard) dispose de 450 copies environ, ça laisse rêveur !
je vais finir par repasser à l'extrême gauche si ça continue ! remarque pas sûr c'est quand même un film ricain post communiste ...  
Philippe C. 20 décembre 2005
 
 
 
 
Je trouve que le film laisse une grande capacité personnelle d'interprétation; nous n'avons pas tout à fait la même, mais il nous laisse cette totale liberté. Il renvoie ainsi à nos propres moyens de défense contre l'horreur, sur les biais intimes qui permettent à chacun d'accepter ou tout au moins d'intégrer la dureté du monde qui nous entoure. Une remarque toutefois sur ta critique :
- ne pas oublier que le film est tiré d'un livre qui a eu un grand succès littéraire. Le réalisateur est assez peu coupable du ton qu'il a en tout point respecté. De ce fait il est sûr que le film doit souffrir de raccourcis qui n'étaient naturellement pas présents dans l'ouvrage (d'ailleurs l'auteur du livre a le même nom que le grand père du personnage principal).
 
Enfin une note très personnelle pour essayer d'éclairer cette dichotomie qui t'a choqué entre le traitement des images et le thème du film. Les modalités de réaction des personnages du film face à l'horreur et notamment du vieil homme avec son chien, sont culturellement extrêmement teintés de slavitude. La région de Lvov où se trouve le fameux village fût pendant longtemps polonaise. Elle est située à moins de 100 km du village où mon père a grandi durant ces années de guerre. Dans ce vieil homme j'ai vu mon grand père et je vois aussi mon père et ses réactions par rapport aux horreurs qu'il a vécues, guerre 39-45 mais aussi guerre d'Algérie. Tout est rentré, caché, par une chape de pudeur et d'introspection. Rien ne transparaît sauf les images positives que le réalisateur a ici si bien su mettre en lumière. Le monde est magnifié pour oublier de parler du reste. En gros la vie continue et il ne sert à rien de ressasser le passé. En ce sens le petit fils américain l'a forcé à rompre cette chape de plomb et pendant tout le film le vieil homme a longuement hésité à la rompre. Il savait depuis le début où était le village. Il s'est laissé entraîner sans savoir s'il allait un jour laisser ce jeune homme aller jusqu'au bout. Puis il a craqué, estimant que la libération que cela allait provoquer chez ce jeune homme était plus importante que son propre destin. Il a laissé les souvenirs et les traces du passé remonter vers le présent. Le résultat n'en fût que plus violent, il ne pouvait pas y survivre.  
Philippe C.     22 décembre 2005
 
 
 
 
Si vous voulez avoir mon avis (et même si vous le voulez pas je vous le donne quand même) :
 
La Shoah n'est pour moi qu'un "détail" dans ce film, et ne faites pas un procès en comparant au grand blond borgne.
Je ne le comparerais pas à un film comme "Music Box" avec Jessica Lange, où le sujet était central.
Ici je suis d'accord avec toi Alain "la douleur ne transparaît pas", parce que n'est pas pour moi le sujet du film.
La mémoire n'est pas non plus pour moi le sujet, la force et le thème central de ce film sont plutôt du côté "accepter les différences, [...] vivre avec les autres"
 
Si ce film m'a touché, moi, ce n'est pas une illustration identitaire, mais pour son universalité et son humanisme. J'ai eu l'impression de faire partie du même monde, d'un même MONDE, d'un grand tout.
En résumé quelque chose a résonné en moi, une part d'HUMANITÉ.
 
Je suis profondément d'accord avec Philippe sur ce qu'il a dit sur la pudeur et les ressemblances qu'il a pu trouver, entre des personnages ukrainiens et les membres de sa famille (son père et son grand père), sur la "slavité" de l'ensemble, je l'ai ressenti aussi, même si cela ne fait pas intimement partie de moi.
Nous avions longuement parlé de notre identité profonde et des résonances familiales peu de temps avant, suite au décès de son grand père (99 ans et sacré bonhomme).
Cette sensation de connivence et de compréhension, que j'ai pu ressentir au delà des mots et des explications, est due je pense à la multiplicité des canaux qui nous sont ici proposés :
- la beauté de la musique
- la beauté des images avec ces paysages sans fin
- et peut être un peu le "goût" avec la référence à la nourriture.
 
J'ai dit BEAU pas JOLI ni décoratif. L'aspect esthétique ne m'a pas bloquée, au contraire.
Comme lorsqu'on a l'occasion d'être mis en présence d'une oeuvre qui nous touche vraiment (peinture, musique, danse).
 
Tout cela m'a permis de SENTIR que c'est gens existent (ou pourraient exister).
 
Lorsque je suis sortie de la salle, j'ai dit que c'était un film bouddhiste, il illustre pour moi l'impermanence des hommes et le principe de vie qui peut se transmettre d'un être à l'autre sans notion de frontière de culture ou de sexe.
 
Pour préciser ma pensée qui peut sembler un peu elliptique (et c'est peut être aussi ce qui m'a plu dans ce film) :
- nous sommes tous taillés dans le même bois (illustration peut être naïve du film tous les acteurs vus en Ukraine se retrouvent à l'aéroport aux Etats Unis)
- nous ne savons pas réellement où nous allons, ni pourquoi nous y allons, ni pourquoi nous y allons avec certaines personnes
- certains repères existent et nous guident (une alliance enterrée dans les berges d'un fleuve) sans que nous le sachions
- l'illumination intervient parfois pour certaines personnes, à certains instants, et leur permet de se mettre en accord avec eux même
 
Voilà, excuse-moi Alain si tout ceci te semble un peu naïf ou par moment grandiloquent mais s'est sincère.
 
J'ai des excuses : je ne vais pas souvent au ciné en ce moment (depuis 3 - 4 ans) et lorsque parfois j'y vais je tombe souvent sur des daubes (que j'ai choisies).
 
Ton site est TOP, tes avis la plupart du temps pertinents et tu es moins cassant que les Inrockuptibles sur ce film.
Mais maintenant je saurais (pour replacer tes critiques par rapport à mon goût perso) que lorsque c'est JOLI tu as un avis a priori plutôt négatif.
Isabelle E-C   22 décembre 2005
 
 
 
 
Al1, heureusement qu'ils n'y vont que trois fois par an au cinoche, les Cichos (Philippe C et Isabelle E) ; sinon ton site, il était plombé !!
C'est quand même pas mal  le ciné quand ça suscite des trucs comme ça.  
Thierry D.    22 décembre 2005