Politique et cinéma américain
Janvier 2006
Au secours ! Rien qu'à voir le titre, on s'enfuit, on déserte...

C'est juste pour faire part d'un certain étonnement. Nous les Français, facilement donneurs de leçons aux Américains quand il s'agit de démocratie ou de droit d'expression, nous ne faisons plus de films politiques. Le cinéma n'est plus, en France, un témoignage de contre-pouvoir. Mais l'a-t-il vraiment été un jour ?
Lorsqu'en 2004, avec Fahrenheit 9/11, Michael Moore mettait ses très gros pieds dans le plat de la campagne électorale américaine, nous n'avons pas été très surpris. Pourtant, imaginons en France un réalisateur concoctant un documentaire cinglant sur notre Président, son passé à la Mairie de Paris, ses frais de bouche et autres amusements, ne doutons pas qu'une telle production, si même elle voyait le jour, échouerait sur une chaîne câblée, à heure choisie, avec une espérance de notoriété proche du néant.
Aux Etats-Unis, le film de Michael Moore est sorti dans plus de mille salles. Sans beaucoup d'influence sur le résultat des élections, mais au moins a-t-il eu la chance d'exister.

En ce début janvier sortent en France deux films américains très politiques, pas spécialement en faveur du gouvernement américain, et qui, comme Fahrenheit 9/11, ont eu leur chance outre-atlantique.
"Good night, and good luck", même s'il traite d'un sujet passé (McCarthy et sa chasse aux sorcières dans les années 50), fait clairement référence à la situation actuelle. "Lord of war", film américain lui aussi, (même s'il est produit en partie par un français -Michel Rousselet- et réalisé par un néo-zélandais -Andrew Niccol-) attaque de front la stratégie commerciale des vendeurs d'armes internationaux. Nicolas Cage, acteur reconnu, s'est risqué à y incarner un personnage qui n'a pas dû faire plaisir à la Maison Blanche. Imaginons le même sujet tourné en français, avec un Depardieu ou un Jean Reno en infâme vendeur d'armes, protégé en dernier lieu par le gouvernement français... N'y songez pas, c'est impensable.

Les Américains sont peut être ce qu'ils sont, il n'empêche qu'une partie de leur cinéma est encore capable de faire de l'opposition à la politique libérale dominante. Et même dans leurs grosses productions, il y a parfois, en filigrane, un regard critique ou sceptique sur les positions gouvernementales actuelles.
Encore un effort, sous les pellicules, la plage...good%20night%20and%20good%20luck.htmllord%20of%20war.htmlshapeimage_2_link_0shapeimage_2_link_1
Vos commentaires

Je viens de trouver ton papier sur  les américains. Voici mon avis.
Je suis tout à fait d’accord que le débat d’idées n’est pas ce qui se porte le mieux actuellement.

1° Les américains sont-ils plus courageux que nous sur les débats ?
          Je ne pense pas que les américains soient plus courageux que d'autres.
Pas de charge anti américaine derrière cela.
Ils ont un système plus ouvert : économiquement et idéologiquement. (Ce qui est plutôt un problème actuellement).
Ils font quand même tout et n’importe quoi, de ce fait le débat d’idées va plus loin (et parfois n’importe où)  forcément.
         Je poserais le problème du film d’idées comme étant le même que celui du gars qui fait un disque qui n'est pas dans la tendance.
Tu parles de M. Moore, il utilise la constitution américaine qui lui donne le droit d'exprimer librement ses idées. C'est un produit qui rapporte actuellement.
Il me semble que son premier film ne s'est pas produit aussi facilement.
Actuellement, il veut faire un film. Il cherche des financements et il fait son film. Il est diffusé.
Ses producteurs veulent du chiffre, prennent des risques, font confiance.
Ils ont des intérêts dans plein de sociétés, y compris dans l'information, font diffuser les pub sur les films comme ils le veulent.
Cela fait partie du job marketing. (Peut-être est-ce un acte politique. A-t-il été distribué par des opposants à Bush ? Je ne sais pas.)
Un film est un produit qui peut rapporter.
          Chez nous, pour avoir un financement, le système est beaucoup plus frileux. Il faut plutôt être dans l'air du temps. Ou avoir déjà fait des films qui ont bien fonctionné.
C'est quoi l'air du temps en France ? A. Resnais ?
C'est dire la même chose que les autres, reprendre un format qui a bien fonctionné. (J'exagère un peu je sais)
          Quant à la distribution et au système marketing, vois un peu ce qui s'est passé avec un film comme Assassins de Kassovitz, ce n'était pas le film du siècle mais il posait des questions nécessaires sur la responsabilité.
Il a été descendu avant même d'être en salles.
Qui a fait cela ? les médias. Les journalistes (chaînes publiques ou privées), qui ne disent que ce que les directeurs d'infos leur disent de raconter.
Regarde qui sont les films français dont on parle à la télé.
(Je crois que nous critiquons beaucoup les Etats Unis mais question déontologie, nous ne faisons que courir pour essayer de les rattraper.
Le problème est avant tout le financement et la diffusion du film.

2° À propos des films de guerre…..
         Je ne vois pas le cinéma "d'armes" US comme étant le fait d'un contre pouvoir latent.
J'envisage les choses sous un autre angle :
(Note : Il n'y a aucun sous-entendu complotiste ou autre dans ce que je vais dire!)
         Nous avons  l'interaction entre deux systèmes, le système stratégique américain et le système cinématographique américain (rappel : Hollywood se surnomme "the system".)
On est en présence d'un complexe militaro-cinématographique.
Ces deux systèmes se côtoient depuis trop longtemps pour qu'on ne se pose plus de questions sur leur interdépendance.
Reprise par le cinéma du mythe de la frontière, de la menace...
Depuis 1950, Hollywood travaille avec le Pentagone (Rappel : Jour le plus long réalisé avec l'aide de la Navy, Paton avec l'aide de l'Army..).
Je parlerais plutôt de l'orientation dans la vision cinématographique US par rapport à la vision française.
           L’orientation US va vers une production qui vise à la construction de l'identité nationale d’un pays qui est encore jeune.
On nous montre comment il faut penser : Prends Indépendance day qui nous montre l’ennemi ou Treize jours qui nous rappelle qu’il faut quand même se méfier des militaires.
Qui sont les ennemis : extraterrestres, Indiens, nos concitoyens ? (limite parano j’en conviens mais je vois ce pays comme cela).
Vois le nombre de films qui mettent en scène le Président des Etats-Unis (avec une maîtresse, en train de sauver le monde…)
 (Les films d’action sont plutôt américains. Ils ont besoin de prouver qui est le meilleur ?)
Je pense plutôt que l'usage du cinéma américain répond à une volonté pédagogique.
(Je me base par rapport à ce que je vois, peut-être existe-t-il chez eux d’autre types de films qui ne sont pas exportés.)
       Côté français : Il y a quand même Tavernier, Costa Gavras, Le cauchemar de Darwin c’est français je crois ( ?) , j’en oublie mais je ne pense pas que le cinéma français ait à rougir en ce qui concerne les questions politiques ou sociales. Chez les Allemands, il y a M. Haneke.
Pas assez de films qui dénoncent ? Par rapport à la taille du pays, je pense que si.
       Le cinéma français n’est pas axé sur le film de guerre, il n’y a rien à prouver sur l’idée de nation. Le concept est déjà ancien.
(C’est vrai que des idées comme la République ou l’égalité devraient être remises au goût du jour. C’est vrai aussi qu’un petit film sur le rôle du fils Mitterrand au sein de guerres civiles serait intéressant. )
Ce sont plutôt des films sur l'état, la composition (et décomposition) de la nation, de la classe moyenne.
Les questions stratégiques et politiques sont plutôt réservées à une autre partie de l'intelligentsia.
Celle du livre.
     Côté livres aux Etats-Unis : La littérature autour des sujets de M Moore, des problèmes politiques (voir le livre de Joffrey Tobbin Qui gouverne l’Amérique ?, ) les problèmes sociaux (les problèmes de logements, d’alimentation, de travail, de ségrégation raciale ou sexiste, d’éducation) existe de façon pléthorique. Nous avons les mêmes systèmes de distribution.
 (Je suis d’accord aussi que si on n’a pas ce type de films en France, c’est peut-être dans une volonté de cacher.)
      Ces mêmes livres existent en France sur les sujets politiques « brûlants ».
Actuellement, voir le livre de Caroline Fourest (plutôt à gauche) sur "La tentation obscurantiste" (les rapports entre une gauche plutôt socialo qui sous prétexte de soutien palestinien joue avec le feu islamiste, actuellement plusieurs livres sur Chirac, il existe une multitude d'écrits sur le Rwanda et le rôle sombre de la France lors de cette tuerie.
 Le dernier Alain Minc (plutôt à droite) sur ces élites qui nous gouvernent.
P A. Taguieff (historien des idées), sur tout ce qui touche au populisme (chez la bonne gauche justement), les problèmes que rencontrent la république et la démocratie, les limites qu'il peut y avoir entre engagement politique et extrémisme.
Il y a de quoi faire si on s’y intéresse.
 Peut-être est-ce là le problème ? Comprendre qu'il faut utiliser plus d'un média pour faire passer une idée ?
      Il est plus facile d'écrire un livre et de le publier que de produire un film. Les enjeux économiques sont moins grands. Les circuits économiques sont différents.
Pour le cinéma français. Cela changera. Reste à trouver les financements.
Et les sous, c'est quand même lié au politique.
Nos producteurs n’ont peut-être pas envie de se retrouver avec une pancarte couleur politique dans le dos.
Aux USA, on juge plus la personne que ses productions. (Je ne dis pas que c’est bien ou mal, c’est comme ça.)
Autre idée : peut-être qu’en fait, il n’y a pas assez de spectateurs potentiels pour ce type de film. Aller voir un film politique, c’est déjà s’engager. Or qui actuellement, a une culture politique ?
Pour terminer sur le débat d’idées, on a vu ce que les débats d’idées ont donné lors de Sarajevo. Tout le monde a parlé, pas de problèmes. Pendant ce temps-là tout continuait.
Nous sommes en train de vivre la décomposition sociale, ce ne sont pas les émissions qui manquent pour dire « Ma bonne dame, ce n’est quand même pas chouette… » et après….. ?
Du pain et du cirque….. Jouons au loto et critiquons le caddie du voisin.
Nous avons en France, le Canard enchaîné qui, dès qu’il sort un article sulfureux provoque une réaction immédiate. Voir la démission du ministre de l’économie il y a peu à propos des logements. Le même journal a sorti un papier sur les HLM et Chirac a réagi.
Voilà "rapidement" mon avis. (Note bien que je ne suis pas une spécialiste du cinéma, il y a sûrement beaucoup d'objections par rapport à ce que j'ai dit.) Tout ça c’est un peu en vrac (ça m’a pris du temps quand même pour un truc que je voulais faire en 10 minutes).
(Je n'ai pas vu Constant gardener et Lord of War). Je ne peux rien ajouter par rapport à ces films.
Enfin voilà.

Je rajoute ceci : Mes sources par rapport à ce que j’ai dit, ce qui fonde mes idées.
Entre autres :
Je lis Courrier International  (en entier dès que je peux mais je ne rate jamais les articles sur les Etats-Unis ou la France). Il y a eu un dossier sur M. Moore que j’ai malheureusement perdu.
Les articles concernant la France sont généralement très cinglants, et les bévues régulières de Chirac sont commentées avec beaucoup d’humour.
Chez Autrement Editions,  Hollywood, le Pentagone et Washington
Le livre de JP Chevènement Le défi républicain
Marie Christine M.   8 janvier 2006


Entièrement d'accord avec ton analyse Alain, en matière de cinéma politique, depuis la fin des années 70, le cinéma français est devenu extrèmement
frileux.

Juste une réaction à la réponse de Marie Christine M.

Nous avons aussi en France un "complexe militaro-cinématographique", puisque la France est aussi dans le trio de tête des vendeurs d'armes et que les
grosses productions cinématographiques françaises et la presse qui les soutient sont elles aussi très proches de l'industrie d'armement.

Citons pour l'exemple la dernière collaboration du cinéma et du ministère de la Défense, où Madame La ministre fait d'ailleurs une apparition : Les
chevaliers du ciel, film furieusement critique et engagé s'il en est !

Quand verra-t-on sur nos écrans un film retraçant les péripéties du scandale Elf et des Frégates de Taïwan où un ministre d'Etat a été impliqué ?

Arrêtons de prendre les américains pour des grands garçons immatures et "paranos".
Il y a aux Etats Unis 270 millions d'habitants et tous ne correspondent pas à la vision caricaturale qui est courament admise en France.

S'il existe aux US des gens ayant l'idée de réaliser ce type de film et les moyens de les produire saluons cette liberté et regrettons qu'en France ceux
qui ont des moyens ne les mettent pas au service de ce type d'objectif politique et sociétal.
Isabelle  E-C.   28 janvier 2006