Ce serait comme dans une pièce
célèbre de Beckett, deux hommes sur une route de campagne
désertée, devisant sur la vie, à peine dérangés
par un autre personnage, non pas propriétaire des lieux,
mais qui passe en habitué, venant pourtant de nulle part,
comme un Godot qu'on n'attendait pas…
Al et Lance n'ont pas le même âge ni la même expérience,
n'ont pas d'affinités particulières (leur relation
n'est que familiale) et ne sont pas là pour les mêmes
raisons et pourtant ils parviennent à échanger, à
s'engueuler comme des vieux potes puis à se prendre une biture
carabinée (qui fournit un beau prétexte à quelques
dérèglements du comportement, et on est alors partagé
entre un sourire béat et une inquiétude pour leur
futur). Le non-lieu qui les entoure - ces arbres rabougris, calcinés
par l'incendie tout récent – donne un aspect un peu
irréel à l'ensemble, comme leur travail, à
la fois absurde et un peu inutile et aussi décrit de façon
très précise par les outils qu'ils utilisent, par
leurs gestes mécaniques et répétitifs.
Le film, en apparence une énième production américaine
indépendante branchée sur le nombril, plus ou moins
psychanalytique, se révèle bien plus intéressant
et plus mystérieux : les deux tendances – d'une part
des discussions triviales ou existentielles selon le moment de la
journée, la qualité de la lumière ou le degré
d'alcool et d'autre part un univers de fin du monde flirtant avec
le fantastique – cohabitent de façon surprenante, donnant
de la valeur l'une à l'autre. Sous la pluie d'été
ou en pleine chaleur, la nature renaissante et les quelques ruines
(authentiques, les ruines, le film a été tourné
peu après un incendie) prennent des couleurs surprenantes,
les hommes y sont comme libérés et se permettent des
actions insolites, tout en parlant des femmes qui les attendent
(ou pas) et de leur vie à venir.