The place beyond the pines

Derek Cianfrance, découvert avec "Blue Valentine", c'est d'abord un style, autant dans la façon de filmer que dans celle de raconter une histoire. Classique et flamboyant, parfois l'un après l'autre, parfois les deux en même temps. On pense à James Gray, à Clint Eastwood, et puis on ne pense plus, on regarde, on savoure la prise de temps pour planter le décor et les personnages, les ruptures de rythme, les contrastes qui font accélérer le récit puis le suspendent en plein vol… Aux deux tiers de la projection, on se dit qu'on est peut-être en train de voir un des très beaux films de l'année, et puis vient la dernière partie, celle qui voit les deux adolescents, fils des deux héros, se rencontrer. On attend alors une ultime révélation, ou bien une confrontation dramatique qui cristalliserait toutes les tensions accumulées… et au final, il n'y a rien, rien de plus que l'on ne sache déjà. Les destinées s'accomplissent, sans doute pas exactement comme on pouvait l'imaginer, et le premier sentiment est la déception, tout ça pour ça. Un peu après, en se repassant le film à l'esprit, on trouve des explications à cette fin qui paraît bien plate : comme si l'un des fils continuait ce que son père avait interrompu, c'est à dire une errance, une impossibilité de se fixer, une rébellion à tout ordre établi… Mais peut-être fabrique-t-on cet essai de justification d'un épilogue pas convaincant parce que justement le début est tellement enthousiasmant que l'on n'a décidément pas envie d'être déçu par la suite…
Quoiqu'il en soit, il y a une fluidité de narration et une tension qui élèvent le film bien au-dessus de beaucoup de productions américaines actuelles, les acteurs sont parfaitement crédibles, Ryan Gosling a un vrai charisme, Eva Mendes, débarrassée de son apparence de sex symbol, est formidable de nuances et de finesse dans son jeu, et Bradley Cooper au contraire d'un Dujardin ridicule dans ses emplois dramatiques, peut nous faire croire aux aspects sombres de son rôle.
Au bout du compte, malgré l'écroulement sur place de la tragédie qui n'emmène pas le spectateur "au-delà" comme il était promis dans le titre, le film a beaucoup de qualités.