Alceste, c'est 
            le Misanthrope, le personnage de Molière qui ne peut, qui ne 
            veut pas avoir d'amis. Il veut détester le monde entier et 
            Philinte, celui qui se dit son ami, ne parvient pas à le faire 
            fléchir.
            Ecrire une comédie contemporaine autour de ce mythe, en restant 
            au plus près du thème puisqu'il s'agit de deux acteurs 
            qui en viennent à répéter la pièce avec 
            le projet de la monter, c'est évidemment jongler entre la drôlerie 
            de situation ou des échanges et l'amertume du propos. Le scénario 
            est plutôt intelligent, prenant son temps, ne négligeant 
            ni l'humour (attention, fin et anti-gras, l'humour : même lorsque 
            l'un des personnages tombe à l'eau, on est très loin 
            de la farce), ni une certaine gravité : il n'est pas question 
            ici d'amitié entre les deux personnages, il manque trop d'éléments 
            dans la nature de leurs relations, le récit se situe plutôt 
            dans l'observation de la façon dont les hommes vivent entre 
            eux et confrontent leurs visions respectives de l'existence. Ce qui 
            se joue (et on peut bien parler de jeu, chacun fabriquant son personnage 
            l'un par rapport à l'autre) entre Alceste-Luchini et Philinte-Wilson 
            va de toute évidence au delà du simple projet de monter 
            un spectacle. La clé de l'histoire n'a d'ailleurs aucun rapport 
            avec la pièce en elle-même, un troisième personnage 
            (une femme, bien sûr, mais pas une actrice...) vient cristalliser 
            toutes les tensions accumulées pendant ces quelques jours de 
            travail théâtral puis les fait exploser.
            Fabrice Luchini et Lambert Wilson sont formidables tous les deux, 
            ils ont réussi à incarner chacun leur personnage pas 
            seulement par les mots et les situations, mais aussi par une gestuelle, 
            une façon de marcher, de s'habiller, de sourire, tout est minutieusement 
            bien vu. On pourrait dire que Luchini joue comme il l'a toujours fait 
            mais il trouve encore mille façons de surprendre le spectateur, 
            ici dans une aigreur contenue, dans une vibration intense sous une 
            épaisse couche de dédain. Lambert Wilson compose quant 
            à lui un étonnant faux lourdaud, aimant le Monde entier 
            avec une maladresse confondante, engoncé dans une certaine 
            ringardise (de par ses vêtements, sa façon de faire du 
            vélo ou d'endosser la célébrité...) et 
            pourtant réussissant à rendre son personnage sympathique 
            et même touchant...
            Tout cela ne fait pourtant pas du vrai cinéma, ce sont juste 
            deux acteurs en osmose qui jouent un texte d'une belle intelligence. 
            Du côté des idées de cadrage, de montage, de photographie, 
            c'est le néant. Mais qu'importe, le plaisir du récit 
            et du jeu suffit à vivre un petit bonheur.